Elle est née à Bienne, mais c’est sur le Plateau de Diesse que Leïla Thévoz a appris l’essentiel : lever la tête, marcher longtemps, s’arrêter pour regarder. Depuis l’âge de 3 ans, elle grandit avec cette lumière particulière des hauteurs et ce mélange de proximité et d’horizons ouverts qui façonnent une manière d’être au monde. Aujourd’hui installée à Nods, elle y revient sans cesse — par attachement, par respiration, et parce que ses images, d’une manière ou d’une autre, y prennent toujours racine.
Après le gymnase à Bienne, le chemin n’est pas encore tracé. Elle commence l’université, hésite, cherche. Puis viennent les stages. À 21 ou 22 ans, un passage à TeleBielingue agit comme un déclic : le rythme, le terrain, la fabrication du récit. Le stage se prolonge, puis viennent les collaborations en freelance, notamment pour la chaîne. Ensuite, presque cinq ans à la radio locale RJB comme animatrice : une école de la voix, de l’écoute, de l’instant présent. Mais assez vite, une évidence s’impose : ce qui l’attire profondément, c’est l’image.

Du son vers le cadre
Elle part alors à Paris, où elle suit un bachelor en documentaire. Là-bas, elle affine une manière de filmer qui ne force rien, qui approche avec délicatesse, attentive aux silences autant qu’aux paroles. En parallèle, elle continue à travailler comme journaliste-reporter d’images, tout en développant ses propres projets. Paris lui offre une densité culturelle stimulante, mais sans jamais rompre le fil qui la relie au Plateau.
C’est dans ce contexte qu’elle se met à travailler sur son premier long métrage documentaire, Dis-moi ton secret. Un film né d’une question ancienne, presque intime, et d’un souvenir d’enfance qui n’a jamais cessé de l’accompagner.
La part du mystère
Dans sa famille, un épisode a marqué durablement les esprits. L’une de ses petites sœurs — Leïla en a trois — avait, enfant, une tumeur à la gorge. Les médecins ne savaient pas précisément de quoi il s’agissait et recommandaient une intervention. Les parents refusent, quittent l’hôpital. Quelques jours plus tard, un ami de la famille, muet, pose ses mains autour de la gorge de la fillette. La tumeur disparaît. L’enfant répète ensuite, avec la certitude limpide des très jeunes : « le vieux monsieur m’a pris ma boule ».
On lui dira plus tard que les fées n’existent pas, qu’il faut se méfier des sorcières. Mais Leïla a grandi avec un père attentif, joueur, qui a appris à ses filles à regarder la nature de près, à s’y plonger avec curiosité et respect. Dis-moi ton secret ne cherche pas à expliquer ni à convaincre. Le film observe, écoute, questionne. Il laisse une place au doute, à l’invisible, à cette part de mystère qui résiste aux certitudes trop rapides.
Revenir à l’essentiel
Lorsqu’elle revient sur le Plateau avec cette expérience et ce film, elle choisit de faire ce qui la touche vraiment. Et puis, elle est devenue maman. Son fils, Lenny, a modifié l’échelle des choses. Paris était riche, foisonnant, mais voir son enfant grandir ici, courir dans les prés, jouer dehors, lui paraît aujourd’hui une évidence. Un besoin. Un héritage à transmettre.

Elle continue de travailler à TeleBielingue et propose une série, Un jour en sept minutes. L’un des épisodes suit la sage-femme qui l’a accompagnée lors de son accouchement. Une figure reconnue, presque emblématique dans le milieu biennois, dont le travail la fascine. L’idée d’un film plus long autour de cette femme continue de mûrir : quelque chose de fort, profondément humain, et pourtant très ancré dans la région. Ces projets racontent aussi une manière de vivre, étroitement liée au territoire. Le Plateau n’est pas seulement un décor, mais un espace de ressourcement, un lieu où Leïla Thévoz se retrouve pleinement.
Le Plateau comme respiration
Depuis l’âge de dix ans, l’équitation occupe une place centrale dans sa vie. Le cheval est son animal fétiche. Avec Hidylle, elle traverse les marais, longe les forêts, galope quand l’espace s’ouvre. « C’est ma méditation », dit-elle. Là, elle se sent libre, pleinement présente.
Elle aime aussi le lac, tout proche. Cette possibilité, presque évidente quand on vit sur le Plateau, de passer rapidement des hauteurs aux rives. Elle nage, rame en paddle, pratique le foil, avec cette impression de voler au-dessus de l’eau. Une sensation de légèreté qui fait écho à sa manière d’aborder la vie et le travail.
Son lieu préféré reste pourtant une petite forêt, derrière la dernière ferme de Châtillon, en direction de Lignières. Avant d’y arriver, juste là. Elle aime l’automne, les couleurs, mais aussi cette période où le givre recouvre les branches, quand le paysage devient silencieux et presque irréel. Poétique, parfait.
Attachée aux gens, à sa famille, à ses sœurs — quand elles se retrouvent à Nods, c’est toujours la fête — Leïla Thévoz incarne une manière d’habiter le Plateau sans nostalgie, mais avec profondeur. Filmer le proche, croire encore à une forme de magie du réel, avancer avec douceur et exigence : chez elle, la sensibilité n’est pas un refuge, mais une force.
Céline Latscha

Légende-photo : Evoluer en toute liberté sur ce Plateau qui l’a vu grandir est pour Leila Thévoz un bonheur véritable.

